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Comment en suis-je arrivé à photographier de la pensée ? Cette obsession puise sa source dans mon apprentissage de la photographie. Les grands portraitistes du 20ème siècle que furent Richard Avedon et Irving Penn, en particulier, ont associé une dimension psychologique à la représentation humaine. Leurs œuvres dialoguaient avec celles des plasticiens, écrivains, cinéastes et penseurs de leur temps; artistes et intellectuels qui s’employaient à sonder l’âme humaine.

La maitrise formelle allait de pair avec une volonté d’investigation psychique, la sensibilité du photographe questionnant l’esprit du modèle. La prise de vue était un voyage mental, un échange dont le fruit avait une forte densité expressive. Cette approche s'est marginalisée.

J’ai aimé ces portraits. Celui – le plus célèbre - de Marilyn Monroe (par Richard Avedon), jeune femme plantureuse, réduite à une enfant esseulée sur fond gris. Ou ce gros plan d’une paume ouverte de Miles Davis (par Irving Penn), érodée par la vie, pliant le majeur sur la touche d’une trompette imaginaire. La survie par le son.

C’est de ce type d ’images, sans doute, que vient mon goût pour la captation de l’intériorité humaine. Une femme ou un homme qui pense ne triche pas. C’est à penser que nous consacrons le plus clair de notre temps, captif que nous sommes du flot ininterrompu de notre activité cérébrale.

Celle ou celui qui pense habite l’espace intime de son être, loin, la plupart du temps de toute tentation narcissique. J’aime l’y rejoindre en empathie, et en partager l’echo.

J’y vois la vérité de notre condition d' animaux cogitant, souvent trop peu conscients de nos natures profondes.

HR

Kinshasa, 2004

Pourquoi les photos ne groovent-elles pas avec l’efficacité implacable d’un titre de James Brown ? Cette insuffisance me rendrait presque jaloux des musiciens pop. Je me dis souvent qu'aux images, il leur manque la capacité à vous prendre au ventre, vous désaxer les hanches, et à vous embarquer hors de vous-mêmes. Quel est donc ce médium invasif, qui nous captive, sans tout à fait nous émouvoir ? À quoi, au juste, les images doivent-elles leur si grand pouvoir ? Au temps actuel de leur omniprésence, cette question reste sans réponse. Du moins pour la majorité d’entre nous. C’est pourtant un problème qu’il faudrait se poser avec sérieux. Sa résolution pourrait nous alléger de leur emprise, et nous les rendre, à la fois, plus mémorables et discutables.

Le fait est qu’elles articulent une langue dont les manipulateurs de symboles sont seuls à reconnaître l’alphabet.

Les autres, la multitude des autres, ne font qu’en distinguer l’accent ; chaleureux ou rude, sucré, grinçant, tendre ou sulfureux. Ce qui occulte tout approfondissement. À moins qu’elles ne soient élémentaires et directes, il devient de plus en plus indispensable d’avoir recours, pour les appréhender, aux langages écrit ou parlé. À mesure qu’elle prolifère, la photographie perd en lisibilité. Peut-être serait-il temps d’en interroger les subtilités.

HR


Ibiza, 2005

Copyright: Elisabeth Obadia


Qui est ce jeune homme figé dans l’œil complice d’une femme, une fin d’après-midi d’avril 1997 ? Quel est cet individu perché sur le toit d’une finca formenterenca ? Quelles pensées parcourent son esprit ? Quels espoirs le portent ? Le soleil cru des Baléares a bruni sa peau délavée par l’hiver parisien. Sa main droite s’amuse à lancer un caillou en l’air, avant de le récupérer au creux de sa paume. Pile ou face ? Qu’attend-t-il de la vie ? À bientôt 34 ans, il est un jeune loup affamé de conquêtes. Son regard est ouvert à 360 degrés. Conscient de sa singularité, il voit l’avenir en grand, quoiqu’une puissance phénoménale le tire vers le bas. Il fait bien moins que son âge, s’accorde mal à l’air du temps, et collectionne les complexités.

Est-ce bien ce personnage qui porte en lui les germes de mon devenir ? Est-ce bien moi sur cette photo ? Indiscutablement. J’y reconnais un de mes anciens visages. J’y discerne mon corps amoindri par une opération au ventre.

J’aimerais retourner sur ce toit, maintenant, pour y contempler le chemin parcouru.

HR

Formentera, 1997

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