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Dernière mise à jour : 8 oct. 2021

UN CERTAIN 12 JANVIER

La plupart des passagers somnolaient, bercés par le grondement des réacteurs. Le Boeing d’Air France survolait le Sahara, quelque part entre Le Cap et Paris. Paul, les yeux mi-clos, sondait sa mémoire en quête d’une erreur, un oubli, auxquels il puisse remédier. Il venait de boucler une semaine de shooting en Afrique du sud, et anticipait une postproduction qui prolongerait sans doute la fatigue du voyage.

Il sentit le joli minois de Jade, la petite mannequin blonde, surgir au-dessus de son siège. Elle brandit l’écran de son smartphone, tout en lui chuchotant :

- T’es au courant pour Haïti ?

À quoi il répondit, sans même tourner la tête :

- Que se passe-t-il encore ?

- On ne parle que de ça. Un énorme tremblement de terre. Des dizaines de milliers de morts. T’as d’la famille là-bas ?

Il accusa le coup. Pourquoi fallut-t'il qu’il se trouva en suspension au milieu des nuages, assoupi dans le confort ouaté d’une Business Class, quand fut diffusée l’horreur du séisme du 12 janvier 2010 ?

Pendant que Port-au-Prince empilait ses cadavres, suffoquant dans une poussière grise d’éboulement, lui pensait à ses précieux fichiers de mode, espérant n’avoir rien fait de travers. Rien qui puisse compromettre l’obtention de son chèque.

C’est dire à quelle distance il se trouvait de son pays natal.

Alors lui vint un sentiment de honte. Il eut préféré, mille fois, être là-bas, quitte à y risquer sa peau, plutôt que d’entendre ses clientes s’extasier devant une chemise à fleurs, ou le fessier du baraqué qui posait pour leur marque.

On le considérait comme « l’ami haïtien », le seul que l’on connaisse qui ne nettoie pas de carreaux, ou ne conduise pas de taxi. Celui que l’on n’oublie surtout jamais d’appeler, quand le malheur s'abat sur son maudit pays. Le même à qui l’on demande, en toute bonne foi, et très sincèrement désolé, si sa famille n’a pas souffert, si tout le monde est sauf.

Ce qui le poussait à questionner son véritable lien à cette terre natale. Lui qui vivait en plein Paris, loin des secousses assassines. Lui qui, oh abomination parmi les exilés de la première République noire, ne parlait même pas créole. Ce lui à qui Haïti restait étranger.

En songeant à sa visite de la citadelle Laferrière, trente ans plus tôt, il se demanda, dépité, ce qui lui donnait le droit d’être appelé Haïtien.

HR

Être soi-même semblerait presque à la mode. N’est-il pas question que de ça, en ces temps individualistes? Le fait est, pourtant, que celles et ceux qui font preuve, ne serait-ce que d’un soupçon de singularité sont extraordinairement rares.

Car devenir soi ne saurait être assimilé à une simple démonstration d’égotisme, ou à une accumulation de parures, de biens ou de succès.

Accéder à soi est une longue route semée d’embuches, un processus autant sinueux qu’inconfortable. Accepter de muer, se défaire de ses propres entraves et s’approcher de son essence, n’est sans doute pas donné à tous. Encore faut t’il avoir la force de renoncer à ce que l’on croit être. Parfois renier celles ou ceux que l’on aime. Être soi, c’est accepter de tuer l’ancien pour renaitre plus libre, mieux relié à son être profond. C’est accueillir le changement comme une promesse de mieux. Se montrer téméraire, en se jouant du danger.

Il faut avoir la foi en ses propres ressources, très au-delà des illusions, dites, réalistes. Et puis apprendre à se méfier de sa peur. Peur du jugement d’autrui, de l’isolement, peur de l’échec et de la mort. Comprendre que la vie n’est qu'un jeu grandiose, dont les règles sont enfouies quelque part, en chacun de nous. Ce jeu peut réellement être exaltant, dès lors que l’on comprend qu’il n’y a rien à perdre.

HR


Paris, 2021

En quelques décennies, le nombre de photographes s’est démultiplié de façon stupéfiante, tandis que les images devenaient si présentes qu’elles en contaminaient ce que nous considérons comme réel. Au point, même, d’en altérer la nature.

Confronté à cette r-évolution, j’ai pris la décision de photographier comme on pêche à la ligne. En cultivant lenteur et rareté tels d'inestimables trésors. L'obsession capitaliste de la profusion, qui prend la forme, même en art, d’une injonction à produire toujours plus, et plus vite, ne me parait pas légitime. Pas plus que l’obligation d’inscrire mes actions dans le format du " projet ", devenu l’incontournable mode opératoire de toute pratique.

À changement de paradigme, celui que nous impose l’effondrement systémique actuel, changement de comportement. En recyclant mes archives, dont je tire matière à reconfigurer le monde, j’emprunte au langage du rêve, qui ne connait ni raison, ni linéarité temporelle.

J’emprunte au monde des symboles et des mythes, celui des grands mystères révélateurs de l’âme. L’époque est à la promotion d’autres niveaux de conscience. Qu’ils surgissent de temps immémoriaux, où se révèlent par la maitrise des sciences nouvelles, comme la physique quantique.

HR


Haïti, 2011

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