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Ce tour de Chaumont-photo sur Loire serait incomplet sans évoquer le travail d’Henry Roy, auteur et photographe, où une voix décrit par un long texte habité, réflexif, toute l’intimité de ses présences aux jours passés en résidence dans le château et le parc, aux quatre saisons. S’en suit un portrait animiste d’un château, ses dépendances et son parc, publié dans un beau format sur papier grège dans un grammage qui densifie le texte aérien, presque pulmonaire, ce recueil à la déambulation intérieure descriptive, interrogative. Henry Roy relève par l’écriture la source même de ses photographies venues en renfort pour rendre au visible la prégnance poétique de cette voix intérieure, tout au dé-paysement de sa situation bi-culturelle. La lecture animiste du château, de ses dépendances et de ses alentours, fait surgir à la butée de son regard, le Haïti lointain et proche, formations perceptives, dé-ambulation enchantée, retour aux sources de cette voix intérieure qui s’est éprise de Chaumont, et qui traverse le temps. Henry Roy s’est accordé le ” luxe ultime” de ne se fier qu’au “radar de son intuition pendant toute la durée de ce voyage intérieur. ” et pour ce faire, il “se livre aux rituels d’un culte inventé, à un cérémonial, un acte psycho-magique, comme une force d’incarnation adressée aux forces de guérison de notre planète dévastée.” écrit-il.
Le château et son parc deviennent alors un sanctuaire, un point central à travers le temps. La résidence dans son apport au texte commence en hiver, un 22 Novembre 2018 et se clôt le 10 Septembre 2019. Le photographe écrivain parcourt le temps sur les ailes des mots et sur l’écheveau de sa photographie. Il relève ainsi le fondement de ce qui fait voies et voix, parcourant les soleils de percale, s’adressant aux nuages,” aux merveilleux nuages”, écoutant le bruissement intérieur de la terre, l’hiver, le printemps vert dans le concert des oiseaux et des fleurs aux insectes virevoltants, aux joies joviennes et sonores des jardins parés d’enfants, la lente plainte de la terre assoiffée, puis le retour mélancolique des brumes apaisantes de l’automne.
Les quatre éléments sont aux sources de cette rêverie poétique tout en délicatesse des rêves qui traversent les mots et qui font la langue fleurie, délicate, précise, broderies, souffles, le langage est ici le vecteur de l’énonciation, première instance active au propos afin de saisir le voir et son objet par une photographie qui s’émerveille, éveille la lumière, corolle solaire d’une fleur aux roses de ses pétales, arbre pluri centenaires qui lance ses bras au-devant des brumes automnales, feu de la lumière projetée sur un mur de pierre, dansante, flamme intérieure des vitraux qui colorent et qui chauffent la pierre tendre, explosion des verts qui ont mangé la cabane comme une forêt luxuriante, retour d’Haïti, palmes qui se consument sous la lumière rouge de la nuit bleue estivale, banc de sable où rit l’onde azuréenne, nervures vertes des feuilles évoquant cette forêt primaire, parcourue de rivières, comme vue du ciel et de très haut….
La photographie ramène Henry Roy au souvenir de son île, à lui, dans le sommeil perdu du texte où se lit cette présence occultée du souvenir ; cela sonne très juste comme une promesse à l’insatisfaction dérangeante, Parfois il note qu’il “passe et repasse, suivant ma ronde obstinée, toujours aux mêmes endroits. Cette besogneuse répétition n’a décidément rien de monotone. Elle manifeste une insatisfaction chronique, doublée de l’espoir inébranlable d’être surpris, enthousiasmé. Jamais un lieu ne respecte tout à fait le souvenir que l’on en garde. La stabilité des êtres et des choses n’est qu’apparence trompeuse. Et il me plait de naviguer aveugle sur l’océan du perpétuel changement.”
Il faut lire ce beau texte, compagne de cette photographie, la voix d’Henry Roy y fait moisson de sensations dans l’éligible attention qui fut la sienne, comme l’écrit Aimé Césaire dans Nouvelle bonté : « Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube. » Ce qui fait résolution de l’écrivain engagé en lui-même par l’écriture, cette lente approche de soi même plus lucide qu’il n’y parait et sans complaisance ; il est question d’approcher par couches, les traces de ses pérégrinations, ce qui fait œuvre et sens, au-delà des apparences comme il faut savoir naviguer aveugle c’est à dire voyant sur l’océan du perpétuel changement.
Pascal Therme, novembre 2019