J’ai enfin vu Atlantique, de Mati Diop.
Je ne pouvais manquer l’avant-première diffusée au Gaumont Opéra, que m’avait signalée la veille, le réalisateur Thierry de Peretti.
Célébré au plus haut niveau de l’industrie cinématographique (avec un Grand Prix du Jury au festival de Cannes), le film avait déjà connu un glorieux destin.
C’est donc avec un à priori positif que je me suis assis dans l’immense salle du Gaumont.
Dès les premières minutes de projection, j’ai compris à quoi j’avais affaire. Bien entendu, il y avait la justesse du casting, la haute qualité de la photo, portée par l’excellence de la bande son. Mais au-delà, émergeait quelque chose de neuf et de rafraîchissant. Mati dirigeait sa caméra à travers des territoires périphériques, dans des espaces urbains jusque-là négligés par le cinéma de fiction. Et elle le faisait avec un brio et une poésie rares.
Avant cette édition de Cannes, Mati Diop manquait au cinéma mondial. Ce dernier ne pouvait en effet se passer de la contribution d’une Afrique noire souffrant cruellement de mésinterprétation. Le jury du festival l’a parfaitement compris.
Il était urgent d’introduire des points de vue divergents dans le champs imaginaire d’un Occident dangereusement replié sur lui-même.
La tâche était d’autant plus délicate qu’elle est exceptionnelle.
Les influences de Claire Denis et de Apichatpong Weerasethakul parcourent le film sans rien lui enlever de sa belle personnalité.
La singularité et la maitrise de sa mise en scène, déjà manifestes dans 1000 soleils, son moyen métrage précédent, confirment Mati parmi les cinéastes les plus douées de sa génération.
Je me suis réjoui de voir la thématique de l’invisible - qui m’est si chère – traitée avec talent dans une œuvre culturelle majeure.
Les fantômes qui nous entourent renforcent leur présence dans un cinéma largement dominé par une vision du monde formatée par l’idéologie scientiste. En ce sens, Mati prolonge les démarches respectives des deux cinéastes cités plus haut.
J’ai donc beaucoup aimé Atlantique et la perspective unique qu’il propose sur la migration, le regard qu’il porte sur la mer, l’amour, le cinéma et la mort.
Si je suis si positif, j’avoue que c’est aussi parce que je suis fier de cette belle jeune femme que j’ai le plaisir de connaitre depuis plus de 20 ans. Heureux qu’elle s’impose comme héritière d’un cinéma transafricain quasiment inventé par son oncle Djibril Diop Mambety.
La question de la transmission compte beaucoup dans les traditions d’Afrique sub-saharienne. Il est heureux - dans le cas de Mati – que cet héritage soit venu se nourrir du sein d’une mère française, scellant l’union fertile de deux peuples aux destins imbriqués.
Et faisant oublier, au moins le temps de la consécration de Mati, ce que l’histoire de la colonisation recèle de zones d’ombres.
HR