QUETES PHOTOGRAPHIQUES A CHAUMONT SUR LOIRE
Quelle que soit la saison, l’une des qualités constantes de Chaumont-sur-Loire est d’y voir présentées des œuvres largement reconnues – El Anatsui ou Sheila Hicks récemment – aux côtés de celles d’artistes encore loin des radars. La preuve encore en cette fin d’année, consacrée pour la troisième fois à la photographie.
Cet hiver, ce sont les courbes du paysage de l’île volcanique de Jeju, dans le sud de la Corée, caressées par l’objectif de Bae Bien-U, qui répondent à la première catégorie. Véritable découverte, le travail d’Henry Roy, construit par le photographie et l’écrit lors de plusieurs venues sur le domaine cette année, en est l’exact contrepoint. Car si les vues larges de Bae Bien-U laissent oublier la présence de leur opérateur, Roy, passé par l’image de mode, s’est livré à une quête de face-à-face soudains pour restituer ce qu’il nomme « l’esprit des lieux ». Haïtien de naissance, il voit dans la série qu’il expose un « portrait animiste de Chaumont » – non sans rappeler la sentence de Richard Avedon, « tout portrait est un autoportrait ». Lorsque l’ombre d’un arbre passe sur le château ou qu’une fougère rougeoyante se dresse nuitamment devant son appareil, la furtivité de leurs saisies habite encore les images qu’il a tirées de son arpentage. Comme si un « esprit », justement, avait fouillé les moindres recoins du domaine, sans faire de distinction entre œuvres, plantes, lumières ou ondées. Et plutôt que la majesté cultivée habituellement par les photographes pour décrire Chaumont, Henry Roy se distingue par l’urgence hantée de son regard.
Egalement en quête d’imaginaire, Juliette Agnel a bénéficié d’un soutien particulier de la part du domaine : après avoir exposé à l’hiver 2018, ses Portes de glace ramenées du Groenland, c’est dans un Soudan en pleine effervescence politique que l’a invité à se rendre Chantal Colleu-Dumond, directrice artistique de Chaumont-sur-Loire. Loin de toute vocation documentaire, son travail a trouvé dans les ruines de Méroé matière à poursuivre sa rêverie. Pressentant dans la rencontre de l’ancien royaume koushite la vue d’une sorte d’Atlantide des sables, Juliette Agnel a mêlé dans de mêmes images les temps distincts du ciel étoilé et des architectures enfouies dans les dunes. Retravaillées à son retour, la série Taharqa et la nuit agrège tout autant une fascination pour la science-fiction que sa défiance vis-à-vis d’une vision purement ethnographique : si elle a suivi Jean Rouch en Afrique dans les années 90, elle en a surtout retenu la part d’imaginaire que nécessite la restitution visuelle. Quitte à faire œuvres des fantasmes que suscite la vue de civilisation disparue.
Tom Laurent
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