Il y avait cette joie, en moi, simple et légère ; un enthousiasme juvénile que j’ai gardé tard dans ma vie. Et puis il a fallu se conformer, se coltiner l’adversité, dans un contexte culturel qui s’opposait à toute gaité. La photographie de l’époque était morne, grise, volontairement inexpressive.
Il n’était pas question d'y célébrer la vie, de peur, sans doute, d’avoir l'air trop publicitaire. Il fallait être un révolté, de gauche, s’afficher subversif, soi-disant humaniste.
Il était de bon ton d’être un peu dépressif, intello-nostalgique. Ne surtout pas s’oublier, bêtement, à se réjouir. Pour être crédible, il fallait être grave, cultivé, distant. C’était mieux d’être blanc, aussi. Trop de rire ne pouvait qu'altérer mon image de migrant d’Haïti, me renvoyer aux pires clichés. On me voulait engagé, mais pas trop, militant de ma cause identitaire, mais cordial. J’ai adopté cette posture contradictoire, je l’avoue, ai surjoué l'outsider. Au fond de moi se cachait un enfant, qui riait secrètement des mines tourmentées, et des sourcils froncés. Il attendait son heure.
Il suffisait que je m'approche d’une mer chaude, et retrouve le large. Le môme ressuscitait, hilare, avec l'espièglerie d’un feu follet. Il lavait dans l’eau claire les couches de mensonge qu’il s’était imposées. Oubliant ses blessures et ses renoncements, il ne dissimulait plus sa joie d’être vivant.
HR
Copyright: Elisabeth Obadia